La Crau : on marche sur l’eau

LA commune de La Crau est une charmante bourgade qui a su conserver un c�t� "terroir". Ce n’est pas pour d�plaire aux citadins qui envahissent les parkings de Grand Var chaque fin de semaine. La Crau : 37,87km�, deux fois la superficie de La Seyne, pour une population d’un peu plus de 15000 habitants (soit un quart de La Seyne). Le tout � dix minutes de Toulon par l’autoroute. Le maire actuel et dixi�me colistier de son fils aux �lections municipales � venir, M. Simon, a bien compris l’int�r�t �conomique pour La Crau et les siens de devenir une banlieue pavillonnaire de Toulon.

Des esprits malins voient ce mouvement d’un autre œil, et pointent du doigt les largesses de l’�dile concernant le foncier de la commune.

Comment s’�goutte l’Eygoutier

Un des atouts de La Crau est �cologique — � tout le moins naturel. C’est sur cette commune que se trouve la source de l’Eygoutier, un fleuve que les hommes tentent de dompter depuis le XVIIe si�cle. Situ�e au pied du Mont des Oiseaux, la source de l’Eygoutier forme un marais, l’Estagnol, du fait des remont�es de la nappe phr�atique. Le nom Estagnol vient du proven�al et signifie « petit �tang ».

L’Eygoutier traverse ensuite le Plan de La Garde. L�, il re�oit les apports de cinq affluents. Ainsi renforc�, le fleuve suit son cours vers Toulon sous un pseudo qui trompe tout le monde, la rivi�re des Amoureux, avant de se jeter � la mer. Au total, son bassin versant s’�tend sur 7000 hectares [1].

Le parcours de l’Eygoutier est jalonn� de zones humides dont le r�le se r�sume � celui d’une �ponge. Ce ph�nom�ne, que connaissent tant de piliers de bar, consiste � absorber le maximum de liquide jusqu’� ce que l’�ponge soit gorg�e et laisse le jus se r�pandre ailleurs.

Le marais de l’Estagnol est class� depuis 2003 : "ZNIEFF 2�me g�n�ration". Autrement dit, l’Estagnol est une Zone Naturelle d’Int�r�t Ecologique Faunistique et Floristique, riche et peu modifi�e, offrant des potentialit�s biologiques importantes. L’inventaire ZNIEFF, lanc� en 1982, doit �tre consult� dans le cadre de projets d’am�nagement du territoire (documents d’urbanisme, cr�ation d’espaces prot�g�s, �laboration de sch�mas d�partementaux de carri�re...). Dans les commentaires g�n�raux concernant la zone, on peut lire que l’Estagnol reste « un des tout derniers marais d’eau douce de basse altitude de France m�diterran�enne » mais qu’il « a malheureusement �t� r�cemment en grande partie combl� » et qu’il « convient d’urgence de pr�server ce qu’il en reste ». En effet : d’un �tang de 60 hectares, seuls 25 aujourd’hui sont encore � peu pr�s pr�serv�s.

Plusieurs espaces naturels de La Crau appartiennent �galement au r�seau Natura 2000 qui vise � pr�server la diversit� biologique et valoriser le patrimoine naturel des territoires.

Comment s’ass�che l’Estagnol

Depuis des ann�es, l’Estagnol souffre de remblaiements. Il y a encore quarante ans la zone mar�cageuse couvrait 60 ha ; on y pratiquait quelques cultures et on y chassait le canard. Petit � petit, l’�tang a �t� ass�ch� par l’Ouest, le long de la D76.

Au tout d�but des ann�es 2000, le c�t� Sud de la zone humide fut � son tour attaqu� : un complexe sportif intercommunal, une �cole primaire ont �t� construits. Et peu importe si les remont�es r�guli�res de la nappe phr�atique provoquent des probl�mes d’�tanch�it� dans ces b�timents publics et interrogent sur la s�curit� des enfants et leur encadrement en cas d’inondation. On ne va pas s’arr�ter � ces futilit�s, d�j� que l’on a pi�tin� sans vergogne une �ventuelle sauvegarde du patrimoine naturel.

En 2007, l’Estagnol fut attaqu� par la face Nord. Des remblais ont �t� effectu�s en totale ill�galit�. Les services de l’�tat ont constat� les infractions et deux arr�t�s pr�fectoraux dat�s d’ao�t 2007 ont mis en demeure un particulier et la soci�t� SOTTAL de d�poser un dossier de demande d’autorisation pour les travaux effectu�s.

La Pr�fecture n’a bizarrement pas demand� la remise en l’�tat des zones d�t�rior�es. Ses services avaient pourtant bien constat� « que les terrains concern�s par les travaux de remblaiement sont des zones humides [...], que la zone humide remblay�e constitue un site d’int�r�t �cologique majeur, inventori� comme ZNIEFF [...], que le terrain se situe dans la zone humide de l’Estagnol dans laquelle ont �t� inventori�es des esp�ces floristiques et faunistiques caract�ristiques des zones humides, dont certaines sont prot�g�es par la loi, [et] que les remblaiement effectu�s sont de nature � d�truire ces esp�ces ainsi que leurs habitats ».

Les associations de d�fense de l’environnement font aussi remarquer que « l’�paisseur de la couche de mat�riaux d�pos�s ne permet plus le fonctionnement hydrologique de la zone, accroissant le risque d’inondation » et de la pollution de la nappe phr�atique.

Mais des injonctions pr�fectorales ne sont pas faites pour inqui�ter ces remblayeurs de b�cher en rond. La Soci�t� Nationale de Protection de la Nature (gestionnaire notamment du Parc de la Camargue) a r�cemment constat� des remblais de terre hauts de 3 m�tres pour une surface de 0,5 hectare s’�talant sur quelques parcelles de la commune de La Crau (voir document ci-dessus). Bien entendu, ces surfaces recouvertes ne sont pas les m�mes que celles vis�es par les arr�t�s de 2007. Mais elles sont tout autant li�es � la ZNIEFF et soumises au Code de l’Urbanisme, qui souligne que les exhaussements du sol ne peuvent �tre entrepris qu’ « ï¿½ condition qu’ils ne compromettent pas la stabilit� des sols ou l’�coulement des eaux, ne portent pas atteinte au caract�re du site et qu’ils soient strictement n�cessaires � l’assise et aux acc�s des constructions ». Un Code de l’Urbanisme que le propri�taire des lieux, M. Palazy, devrait conna�tre puisqu’il est quatri�me adjoint de la ville de La Crau.

Apr�s L’Estagnol le d�luge

Les remblaiements successifs de l’Estagnol inqui�tent les habitants de La Crau, mais aussi ceux des communes situ�es en aval.

L’Association de D�fense du Plan de La Garde s’alarme que la zone du Plan puisse recevoir un surplus d’eau � cause de la non-absorption en amont. Jo�l Canapa a fait une sortie remarqu�e -- campagne oblige -- sur ce sujet en novembre 2007 [2]. Il a eu droit aux r�ponses du maire de La Garde qui pr�cise que « ce sont aux entreprises de remblayer » (sic) et du Directeur des services techniques de la ville de La Crau pour qui les terrains de l’Estagnol ont « toujours �t� remblay�s », sachant que les « remblais de l’Estagnol n’ont rien � voir avec des inondations ».

Pourtant, ce brave monsieur ajoute aussit�t que « La Crau est la seule commune du syndicat intercommunal de l’Eygoutier qui a fait un bassin de r�tention. � nos frais, nous avons achet� le terrain et construit ce bassin pour prot�ger La Garde ». Premier grand �cart (d’aucuns diraient facial) : les remblaiements de l’Estagnol (une zone humide de 250.000m�) ne provoquent pas d’inondations � La Garde mais on construit un bassin de r�tention d’eaux pluviales de 24000m� � la limite des deux communes. Deuxi�me grand �cart (lat�ral celui-ci), la mairie de La Crau a pr�vu l’�largissement du cours de l’Eygoutier sur sa commune, faisant passer le chenal de 4 � 10 m�tres de largeur, ainsi que l’�largissement affluent de l’Eygoutier d’une largeur de 4 m�tres [3]. Pourquoi une commune s’emb�terait-elle � d�penser les deniers publics quand une zone humide naturelle a fait le boulot jusque l� ? La r�ponse est certainement politique.

Ass�cher est un peu une sp�cialit� locale. La zone humide des Arquets avait d�j� �t� pomp�e pour y faire pousser des habitations. Le trop plein d’eau qui venait r�guli�rement tremper les pieds des nouveaux r�sidents fut peu de temps apr�s redirig� dans le Gapeau vers Hy�res. Les buses de tr�s gros calibres, pendant ce temps-l�, n’alimentent pas les nappes phr�atiques. C’est par ce paradoxe qu’un territoire maintes fois inond� conna�t aujourd’hui la s�cheresse. Et c’est ainsi que les �lus du Syndicat intercommunal d’alimentation en eau des communes de la r�gion Est de Toulon (SIAECRET) [4], dont le pr�sident n’est autre que G�rard Simon, maire de La Crau, concluent avec la Soci�t� du Canal de Provence (SCP) un accord « pour une gestion coordonn�e des ressources » (sic). L’usine de potabilisation des Maurettes sera alors aliment�e toute l’ann�e par le Canal de Provence � raison de 300 litres par seconde. Rien que du bon sens. Et merci les contribuables.

(� suivre).

[1] Pour plus d’informations, consultez le site de l’Eygoutier sur lequel nous avons all�grement pomp� des images.

[2] Var Matin du 17 novembre 2007.

[3] cf. Plan Local d’Urbanisme du 27 septembre 2007.

[4] � savoir les communes de Bormes, Carqueiranne, Collobri�res, Hy�res, La Crau, La Londe, Le Lavandou et Pierrefeu.