Lettre ouverte des Amis de La Pérouse au Président du Rugby Club Toulonnais

MONSIEUR le Président,

Au sein de notre société savante nous admirons votre travail d’éditeur. Les aventures de Rahan sont dans la plupart de nos bibliothèques personnelles ainsi que l’intégrale de Lanfeust, même s’il a fallu pour cela bricoler des étagères supplémentaires : le bougre a tendance à faire durer ses aventures au delà de nos possibilités financières. Enfin, la série des Blondes est d’une qualité littéraire indiscutable.

C’est sur votre fonction de président du RCT que nous vous interpellons. Samedi dernier, notre équipe nous a fait vibrer une fois de plus au son du pilou-pilou ! Pour tout vous dire, la possible montée en Top 14 ne nous affole pas outre mesure. Du moment qu’on peut abandonner un peu nos épouses et boire des bières, le contrat est rempli.

Mais il y a cette équipe, là, tous ces trolls sportifs de haut niveau venus d’ailleurs. Sept Africains du sud, deux Australiens. Et surtout, quatre Néo-Zélandais (sans compter l’entraîneur, le "coach" comme disent les jeunes), deux Fidjiens, quatre Samoans. Moins un Tongien, récemment parti à Grenoble.

Cette liste des joueurs de l’hémisphère sud est longue. Si Tonga, Samoa, Fidji et Nouvelle Zélande nous font aujourd’hui rêver sur le plan sportif, ces noms rappellent aussi le destin tragique des premiers explorateurs partis civiliser des contrées trop sauvages. Combien de marins, combien de capitaines, de La Pérouse au capitaine Cook, finirent accommodés à la sauce coco en plat de choix d’un banquet tribal !

Le 6 mai 2007, Nicolas Sarkozy affirmait vouloir en finir avec la repentance « qui est une forme de haine de soi ». Quelques mois plus tôt, son prédécesseur à l’Élysée avait déclaré que « tout pays se grandit en reconnaissant ses drames et ses erreurs ». Ces deux propositions a priori antagonistes sont en fait complémentaires, à savoir que ce qui est mauvais pour nous (la haine de soi) peut être très bon pour les autres (la repentance). D’ailleurs, la phrase de Jacques Chirac ne visait pas la France et son passé colonial mais la Turquie et le génocide arménien. La société des Amis de La Pérouse s’inscrit dans la logique présidentielle.

Nous ne sommes pas motivés par la chasse aux sorcières, fussent-elles accoutrées de paréos et de couronnes de fleurs, car nous restons persuadés que les enfants n’ont pas à souffrir des erreurs de leurs pères. Cependant, partant du principe que tout joueur de rugby étranger grandit sa nation en reconnaissant ses drames et ses erreurs, nous souhaiterions que vos gars nous accompagnent pour déposer une gerbe sur la tombe de Jean-François Galaup, comte de La Pérouse (enfin, la tombe... Disons plutôt le tibia qu’une analyse ADN a récemment identifié comme étant celui du prestigieux aventurier). Une petite gerbe symbolique pour tout pardonner, avant de partager le verre de Malibu de l’amitié au local de la société.

Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions de croire, Monsieur le Président, à l’expression de nos sentiments les plus amicaux.

N.B. Comme on nous pose souvent la question, nous tenons à signaler que les Amis de La Pérouse n’ont strictement rien à voir avec les Amis de l’Apéro, obscure association de chômeurs (sans doute) dont l’objet vise à rétablir l’usage de la cigarette dans les débits de boisson. Une procédure est d’ailleurs en cours pour que ces gens modifient le patronyme de leur sinistre club.