Depuis le d�but de l’ann�e, les �tablissements scolaires connaissent de plus en plus d’arr�ts de travail collectifs cons�cutifs � des actes de violence. Enseignants et parents d’�l�ves haussent le ton contre des situations qu’ils ne supportent plus. Mais qualifier l’agression d’un �l�ve ou d’un professeur rel�ve-t-il de la rubrique fait divers ou de la rubrique soci�t� ?
LE coll�ge Pierre-Puget, lecteurs assidus de Cuverville, vous connaissez. C’est cet �tablissement d’enseignement secondaire situ� � la fois dans un cercle d’urgence nucl�aire, dans l’axe de rupture d’un barrage et le delta d’un cours d�tourn� (le Las pour les intimes). Ce charmant coll�ge est bord� par une autoroute, elle-m�me aliment�e par une sortie de tunnel ; il est surplomb� d’une passerelle d’acc�s � cette m�me autoroute. Pour mieux l’ins�rer dans ce cadre idyllique, ses concepteurs l’ont color� de noir et de gris, sans compter les couleurs vives en lignes et pointill�s d�limitant les terrains de sport de la cour de r�cr�ation napp�e d’asphalte. Adoss� au coll�ge, le quartier du Pont-du-Las joue aux boules en attendant un improbable tramway.
Pierre-Puget accueille quelques 850 �l�ves, de la 6e � la 3e, dans toutes sortes de classes parmi lesquelles des SEGPA et des sections sport. Ces adolescents viennent de Bon Rencontre, de l’Escaillon, du Pont-du-Las, parfois de la Beaucaire, quartiers o� le taux de ch�mage avoisine bien souvent les 25%.
Plus de soixante professeurs dont cinq rempla�ants, trois en compl�ments de service et trois vacataires exercent dans cet �tablissement, avec � leur c�t� six surveillants � temps plein, trois m�diateurs et trois contrats-uniques-d’insertion effectuant une vingtaine d’heures chacun, pour une moyenne de sept surveillants par jour et une conseill�re principale d’�ducation � temps plein, ainsi que deux � mi-temps.
Une infirmi�re est pr�sente au coll�ge deux jours complets par semaine ainsi qu’un mercredi matin tous les quinze jours. Interdit aux gamins de s’�corcher les genoux le mardi et le vendredi, l’infirmerie est ferm�e ! Dans les entreprises de service appartenant au secteur priv�, de 500 salari�s ou plus, il faut un infirmier pour une entreprise de 500 � 1000 salari�s et au-dessus, un infirmier par tranche de 1000 salari�s. C’est vrai, les coll�giens ne sont pas salari�s. Pas d’bras, pas d’chocolat !
Le co-psy [1], lui, vient une fois par semaine, le mardi, prenant en charge un gamin par heure. Il vient aussi toutes les 2 semaines environ, le jeudi ou le vendredi. Pour les plus pers�v�rants des enfants, le co-psy peut recevoir au CIO [2]. Reste � savoir o� se situe le CIO.
Depuis le d�but de l’ann�e scolaire en septembre 2009, et jusqu’en mars 2010, les professeurs du coll�ge Pierre-Puget ont r�pertori� 30 incidents graves � leurs yeux. 23 de ces incidents portent atteinte verbalement et/ou physiquement � la personne (tant l’enfant que l’adulte), et 7 autres portent sur des d�gradations mat�rielles. L’�chelle de gravit� est difficile � appr�hender : une �l�ve a bien mis feu � une porte mais c’�tait par l’inflammation de blanc correcteur ; un �l�ve a lanc� � la figure d’un adulte « Vous servez qu’� nous casser les couilles », mais dans quelle mesure ne traduit-il pas les r�sultats de la sociologie de l’�ducation [3] ou plus radicalement les id�ologies anarchisantes ? Et puis trente incidents r�pertori�s, �a p�se combien face au millier d’un lyc�e professionnel de banlieue parisienne [4] ? � moins que finalement, il n’y ait pas eu seulement 30 actes graves. D’apr�s le chef d’�tablissement de Pierre-Puget, il a �t� prononc� durant la m�me p�riode 386 jours d’exclusion, 99 avertissements, 14 commissions de vie scolaire et 7 conseils de discipline, le tout concernant environ 200 �l�ves.
La prise � partie d’une surveillante par une vingtaine d’�l�ves mit le feu aux poudres. Le 8 mars dernier, la jeune femme surveillait une salle de 60 �l�ves. Peut-�tre s’agissait-il pour l’administration du coll�ge de battre le record de productivit� des surveillants dans les �tablissements secondaires ? Peut-�tre ne savait-elle pas qu’un coll�ge n’est pas un lyc�e ? Toujours est-il qu’� la fin de l’�tude, apr�s avoir bataill� durant toute l’heure pour maintenir un minimum de calme, la surveillante fut accul�e contre le mur par des coll�giens qui avaient pris soin de fermer la porte pour exiger la restitution de leurs carnets de correspondance.
Le personnel enseignant et le personnel de surveillance firent valoir un droit de retrait le lendemain matin de 8h � 9h. Panique dans l’administration, qui fit tout de m�me rentrer les �l�ves dans l’�tablissement alors qu’aucun adulte, si ce ne sont ceux du secr�tariat, n’�tait d�cid� � les prendre en charge. L’Inspection acad�mique fit remarquer aux professeurs avec une ironie bien sentie pour ce genre de situation, que le droit de retrait �tait individuel : s’ils refusaient de prendre les gamins � 8h il leur serait d�compt� une journ�e de gr�ve. C’est ce que choisirent de faire les enseignants, marquant ainsi leur double ras-le-bol, contre la violence dans le coll�ge et le m�pris de leur administration de tutelle.
Comment se faire entendre quand la hi�rarchie se bouche les oreilles ? Les enseignants n’ont pas encore la culture de la prise d’otage, ni celle du pneu br�l�, n’ont pas encore menac� de faire exploser un bahut. Pourtant, les profs d’EPS pourraient ligoter leur principal, ceux de fran�ais en profiteraient pour br�ler ces satan�s Lagarde-et-Michard, les professeurs de physique-chimie auraient de quoi faire monter la temp�rature en posant en �quilibre deux �prouvettes savamment dos�es. Non pas de �a chez eux, pas de violence physique ! Dans leurs t�tes de premiers de la classe, la lutte ne peut �tre l�gitime que si elle est rationnelle. Comme si le mouvement de col�re des personnels de Puget s’exer�ait raisonnablement !
Un bon moyen pour se faire entendre, c’est d’appeler les m�dias locaux. L’avantage, en plus, c’est qu’un m�dia mobilise plusieurs canaux. Prenez Var Matin. Trois journalistes sont envoy�s rapido : un prend des notes et r�dige selon le canevas-type son article, l’autre prend quelques photos avec un appareil num�rique et le dernier tourne un petit film. Tr�s vite l’information recueillie se trouve sur internet, texte et images � l’appui. Le lendemain, cela para�tra dans la version papier mais sans la vid�o, cela va sans dire.
Le rythme tr�pidant de l’info ne permet pas de creuser le sujet, surtout qu’il faut �tre � 10h � Berg pour assister � l’entra�nement du RCT, o� para�t-il un joueur a vomi sur la pelouse apr�s un plaquage trop appuy�. Quelques questions � la CPE (elle pr�sente les faits), � une parent d’�l�ve elle-m�me bouscul�e quelques temps auparavant (elle t�moigne de son v�cu), � une enseignante (elle analyse la situation) et une premi�re r�action de l’Inspecteur d’Acad�mie (qui promet des sanctions le matin, qui propose aux professeurs de r�duire les cours de 55 � 50 minutes l’apr�s-midi). Un vrai fait divers !
La photo elle-m�me sent le chien �cras�. Au premier plan, � gauche, le dos d’une femme blonde barr� d’un r�fl�chissant « POLICE MUNICIPALE ». Au deuxi�me plan, des coll�giens font face en balan�ant les bras fa�on rappeur, sautillent et se bousculent. Au fond, la voute m�tallique de l’entr�e du coll�ge.
Le reportage vid�o est, lui aussi, �difiant. Sur une minute cinquante, la police appara�t sept fois, entre les interviews d’une enseignante puis celle d’une parent d’�l�ve, comme pour ponctuer la narration et instiller une ambiance anxiog�ne. La professeur se plaint d’un manque de reconnaissance ; la maman avoue sa peur en l’�tendant � l’ensemble des acteurs avec en bruit de fond les �changes de jeunes turbulents dont on ne voit que les pieds.
Au final, journalistes et lecteurs restent hors du coll�ge, comme les �l�ves au matin du 9 mars 2010. Les probl�mes sociaux, eux, sont toujours dedans.
[1] Conseiller d’orientation psychologue.
[2] Centre d’Information et d’Orientation.
[3] Pour un tour d’horizon de la sociologie de l’�ducation, cliquez ici
[4] Lyc�e professionnel Auguste-Perdonnet de Thorigny-sur-Marne, LeParisien.fr, 21 janvier 2010.