LE président de la république du Bénin Mathieu Kérékou achève sa visite officielle en France (avec un passage par Fréjus), loin de l’ébullition pré-électorale que connaît son pays. En mars prochain, les Béninois seront appelés aux urnes pour lui choisir un successeur.
Mais le pays est aussi traumatisé par un meurtre qui aura sans doute un impact sur la campagne.
Le premier président de la cour d’Appel de Parakou a été sauvagement assassiné dans la nuit du dimanche 6 au lundi 7 novembre. On a retrouvé son corps supplicié dans la malle arrière de sa voiture, elle-même abandonnée dans une rue déserte de la grande ville du nord.
Tout accusé jouit de présomption d’innocence tant que le verdict n’est pas prononcé.
N’empêche ! L’honorable maire de Parakou lime aujourd’hui ses dents contre les barreaux en attendant son jugement. Arrêté dans sa ville, il a été transféré vers la geôle civile de Natitingou située à un peu plus de deux cents kilomètres du lieu du crime, pour raison de sécurité dit-on. Assassinat, complicité d’assassinat et associations de malfaiteurs sont les charges relevées contre lui.
A qui profite le crime ?
Selon l’enquête, le meurtre du juge Coovi serait lié au "dossier Arzèkè". Arzèkè est le principal marché de la ville de Parakou.
Pour comprendre les tenants et les aboutissants, il faut savoir qu’au commencement était une promesse électorale de Rachidi Gbadamassi, candidat aux municipales de 2003 : il envisageait de faire chuter les taxes perçues par la SGMP [1]), société juridiquement habilitée à gérer le marché Arzèkè. Comment peut-on promettre quelque chose qui ne relève pas de ses attributions au regard de la loi ? Les populations analphabètes appelées à voter ne disposaient sans doute pas du raffinement nécessaire pour comprendre que la promesse de Gbadamassi n’était qu’un marché (au figuré cette fois) de dupes.
Les élections passées, une fois Gbadamassi élu, il fallait qu’il réalisât les promesses tenues. Il engagea alors un bras de fer contre le patron de la SGMP qui disparut de façon soudaine et mystérieuse. Enigme. Le tribunal n’ayant pas dans ses attributions et compétences de statuer sans preuve, sur des faits occultes ou de sorcellerie, le maire ne fut pas inquiété.
Un nouveau directeur remplace le premier, et ne veut toujours pas entendre les exigences de Gbadamassi. Celui-ci porte alors l’affaire devant les tribunaux. Les juges ne tardent pas à le débouter, confirmant le marché sous administration de la SGMP et ordonnant au maire qui se les était appropriées de force de rendre les clés. Pour que les choses aillent vite, la justice assortit sa décision d’une astreinte comminatoire journalière de plusieurs millions de francs CFA.
Malgré les injonctions de la justice, la mairie ne cède pas et se retrouve avec une ardoise proche de 100 millions CFA. Gbadamassi se démène comme un beau diable. Les enjeux financiers sont d’importance, la mairie veut absolument récupérer la gestion du marché. Par d’étranges jongleries diplomatiques, la cour suprême qui a été saisie du dossier ordonne la reprise du procès. Le juge chargé de l’affaire se nomme Séverin Coovi, un dur à cuir à la réputation d’incorruptible...
L’assassinat a lieu la veille de la réouverture du procès.
La police aurait trouvé des lettres de menace et une liste d’hommes à abattre dans l’ordinateur du conseiller spécial de Rachidi Gbadamassi. L’enquête se poursuit. Sylvestre Djouamon
[1] Société de Gestion des Marchés de Parakou.