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LETTRE D'INFORMATION |

Rugby : les pros et les anti

jeudi 20 octobre 2005
par Saint Just & Lassuche

Toulon n’a pas eu le temps de savourer son retour dans l’élite du rugby français. Les exigences du professionnalisme ont rapidement estompé la joie des supporters, des dirigeants et des élus. Derrière le rideau festif des réceptions d’après match se profilent les désillusions.


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Les dérives du professionnalisme sportif sont connues : argent roi, télé reine, dopage industrialisé, enjeu primant sur le jeu, structure pyramidale du championnat, violence des supporters.
Entre parenthèses : cela pourrait paraître incongru de parler de violence en rugby, surtout après le match Paris-Toulouse du 15 octobre dernier pour lequel Max Guazzini avait fait du Stade de France une arène de kermesse version NRJ-TF1 où, sous prétexte de bonne ambiance, on eut droit à de la bouillie musicale version karaoké des 80’s. Peut-être que M.Guazzini a parié sur le temps de cerveau disponible du public.
Mais une semaine plus tôt, le 8 octobre, les supporters berjalliens montraient à leurs cousins footeux qu’ils savaient eux aussi frapper les joueurs. Certes ces générales (dont peut-être la plus fameuse pour un Toulon-Bègles en 1991, quand Vincent Moscato voulait « faire reculer l’humanité de trente siècles ») n’ont pas attendu que les joueurs soient affublés de sponsors sur le maillot pour se déclencher, et des clubs amateurs comme La Valette sont spécialisés dans la démonstration de manivelles. Le poète allemand Schiller prétendait qu’individuellement l’homme était plutôt sensé, mais que dans la foule il devenait assez crétin. Imaginez : avec des matchs couperets dès la cinquième journée de championnat, les nerfs de chacun sont à vif. Les supporters toulonnais crachent alors leur haine envers un joueur plus ou moins malchanceux sur le forum du Brin de muguet, et rejoignent certains excès des supporters de foot. « Nous, on aime parfois la violence, on aime que la passion nous submerge quelles qu’en soient les conséquences : la vie est si absurde qu’il faut bien s’inventer des voyages. Tout cela est une sorte de prostitution où on veut nous vendre Maradona pour nous faire oublier que ceux qui ont gagné ont déjà gagné et que nous, nous qui avons perdu, avons perdu pour toujours » [1]. A Toulon, faute de Maradona, on se jette sur les anciennes stars.

En ce qui concerne plus strictement le terrain, le professionnalisme induit deux travers importants qui ont beaucoup à voir avec le modèle néo-classique de la concurrence pure et parfaite cher aux étudiants d’éco-gestion.

Cette guerre perpétuelle qui a pour nom monopole

Le premier de ces travers, c’est le monopole par trois ou quatre équipes des premières places du championnat. Depuis 1995, Toulouse, Paris et Biarritz ont trusté les boucliers de Brennus et les autres équipes ont été réduites au rôle de "sparring partners", juste bonnes à recevoir des essais, à faire preuve de courage, et à légitimer une institution quand, par miracle, un gros vient à chuter. Bourgoin, l’an dernier, a pu en se hissant en demie finale enthousiasmer quelques journalistes, et cette saison encore, la cité dauphinoise endosse la tenue de petit poucet qui plaît tant aux chroniqueurs en mal de comptines.
Ceci pose le problème, dans un monde professionnel et libéral, du sponsoring à moyen terme. Etant donné que le patron du coin n’existe plus ou n’a jamais existé, quelle entreprise soutiendra une équipe dont elle sait pertinemment qu’elle va jouer le ventre mou du championnat, voire le maintien, chaque année ? Question communication, on a vu mieux. Pau, par exemple, n’est pas à l’abri. L’usine de Lacq ne restera pas encore longtemps ouverte et Total ne s’entêtera pas à soutenir un club faiblard, sachant qu’à quelques kilomètres finalement, Biarritz casse la baraque. Et Toulon devra se montrer costaud sur le plan sportif, pour faire contrepoids à certains mouvements ligueux qui préféreraient voir Marseille ou Aix, avec Lyon, représenter le Sud-Est de la France dans l’élite. Selon J.-C. Ballatore (ex-entraîneur du Rugby Club Toulonnais), « ancestralement, on a collé au RCT une mission régionale qu’il a toujours bien remplie. Ca colle à la population, aux ouvriers, aux éminences grises. Certains disent que notre rugby est romantique... au second degré ! » [2]. Mais les ouvriers sont une espèce en voie de disparition et les éminences grises des objets rares. Pour un rugby qui s’embourgeoise et chichite lorsque deux marrons biarrots ou parisiens surgissent sur les écrans de télévision, Toulon est trop vulgaire ; du folklore, mais trop rustre, un peu l’envers des « Dieux du Stade » ; c’est le cambouis des moteurs et pas vraiment le monoï des studios photo.

En même temps, les amateurs de beau jeu qui depuis tant d’années posaient leur coussin sur le béton humide de Mayol en hiver pourront rester chez eux et ne plus souffrir avec le RCT quand celui-ci arrache un pénible 8-3 contre Montpellier. Ils regarderont sur la chaîne cryptée des Toulouse-Leicester ou des BO-Munster, et ce sera tout bénéf’, l’abonnement à C+ étant toujours moins cher que celui en tribune Bonnus (l’argent, chers amis, reste bien l’instrument qui permet de mesurer la quantité de douleur et de plaisir). Le championnat est à peu près joué avant de débuter, le suspense dure un mois et le verdict tombe... avec l’émotion. La prise de risques est trop lourde à assumer pour le staff technique et les équipes restent en-deça de leur potentiel. Pierre Villepreux [3] parle d’un « stress collectif intimement lié à l’économique, qui réduit les initiatives comme peau de chagrin ». Mais depuis les années 1920 et les théories keynésiennes, on sait que l’esprit d’entreprise n’est pas novateur ; il est grégaire, frileux et sujet à panique. Le Top 14 pousse les moutons de Panurge vers le ravin sous les vivats des aficionados.

Tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les siens !

Le second travers, c’est celui de l’uniformisation. A tous les niveaux. Au niveau du jeu, avec des schémas stéréotypés de défense bien alignée, qu’il faut surprendre par un coup de pied un peu adroit (Toulon a du retard), ou sur une sortie de mêlée ouverte ou fermée un peu rapide (Toulon choisit toujours le fermé), ou sur un lancer de touche bien négocié (qui reste grâce à C.Traversa un régal). Les spectateurs auront bien droit à quelques jolis gestes. Mais pour les gros matchs, on sortira comme pour le Tri-nations les colosses. Bernard Laporte, sélectionneur du XV de France, l’avouait déjà en 2000 : « Le physique a pris une part prépondérante ces dernières années. Il n’y a pas si longtemps, un avant plaquait une ou deux fois par match. La moyenne actuelle tourne autour de quinze placages. Les règles cherchent à évoluer mais vous savez, ne rêvons pas, elles ne remplaceront pas l’homme. Aujourd’hui, il y a trente athlètes sur le terrain, donc il y a moins d’espaces. Il a bien fallu s’adapter. Moi, ce jeu-là me plaît. Certes, il s’est uniformisé car les défenses sont hyper agressives et le rugby d’évitement a de fait tendance à disparaître ». Des ailiers d’un mètre quatre-vingt dix pour cent kilos qui courent le cent mètres aussi vite que des sprinters, le tout en contre, après plusieurs phases de regroupement d’une rare intensité, quelques caramels assez hauts et des essuyages de crampons légalisés. Ne vous inquiétez pas : la France rattrape son retard. Les Dominici et autres Bernat-Salles sont en voie de disparition, vive les Gobelet et consorts ! « Ce qui me plaît surtout ce sont les joueurs qui transpercent les défenses. Gros, rapide et puissant, ça m’intéresse », poursuivait B.Laporte. Le France-Angleterre du Tournoi des Six Nations 2005 était une caricature de ce rugby. Tout comme les propos de M. Laporte à l’égard de M. Villepreux étaient une caricature de mentalité sarkozyste.
Or, pour tenir ce genre de matchs sur toute une saison, deux impératifs se présentent aux directeurs sportifs. Il faut des équipes à plusieurs bancs (pour faire tourner l’effectif) : l’exemple du Stade Toulousain est révélateur. Mais certains parlent déjà tout haut de «  danger sur le XV de France ». Le championnat de France élitistissime réduit le nombre de candidats potentiels à l’équipe nationale. Il faut aussi des gars bien préparés (éventuellement un peu aidés). Berbizier avait, il y a quelques années, jeté un pavé dans la marre... et certains s’étaient offusqués comme éclaboussés sur les chaussures. Aujourd’hui la fédération écossaise signe un juteux contrat de sponsoring avec un vendeur de créatines. Vive le sport !
La France prépare les mondiaux de 2007 et aimerait voir gagner ses coquelets sur le pré du Stade de France. La Fédération française de rugby, la Ligue nationale et le syndicat des joueurs ont négocié afin d’aménager un calendrier de matchs optimal pour chacun et ainsi préparer la meilleure équipe possible. La naissance du Top 14 en est la résultante. Même si 80% des internationaux français se retrouvent dans trois clubs, et que les saisons prochaines confirmeront la tendance, ce n’est pas grave. Les clubs en question jouent la Coupe d’Europe et peuvent s’aguerrir au contact des meilleurs joueurs européens, voire internationaux. Bref, c’est le pied. Et pourtant, « le facteur important qui contribue à l’euphorie spéculative et à l’effondrement programmé, c’est l’illusion que l’argent et l’intelligence sont liés » (J.K.Galbraith). Les clubs du Top 14 n’ont pas hésité à aligner leurs internationaux pour l’ouverture du championnat, et ce contrairement à la convention collective signé avec le syndicat des joueurs. Loi du marché (Guy Novès parle de « l’entreprise » Stade Toulousain), loi de la jungle, malheur aux vaincus ! Celui qui peut payer n’a pas à s’embarrasser des règlements.

(A suivre)

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[1] cité dans Buenos Aires, port de l’extrème-europe, Graciela Scheneier-Madanes (sous dir.), Collection Autrement, Hors-série n°23, Paris, février 1987.

[2] L’Humanité, 29 mai 1993.

[3] Ancien entraîneur du Stade toulousain, aujourd’hui Directeur Technique National.

  • évolution rugby 5 juin 2006, par (1 r?ponse)
  • C’est toujours les autres 5 janvier 2006 (1 r?ponse)
  • La beauté du sport 2 novembre 2005, par
  • Sarkozy rime avec rugby 1er novembre 2005, par (1 r?ponse)


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