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LETTRE D'INFORMATION |

Carrefour et la pub : puis-je vous prendre pour des cons ?

La défense du sommateur
mercredi 11 juillet 2007
par Pierre Robert

Les enseignes qui se partagent le gâteau de la grande distribution développent la même stratégie publicitaire autour du « mieux consommer », selon laquelle on s’engage à baisser les prix et on vous rembourse la différence si vous trouvez moins cher ailleurs. Carrefour sait très bien communiquer sur le sujet, à grand renfort de numéro vert et d’affiches placardées tous les trois mètres dans ses magasins. Alors Cuverville a profité du fait que son frigo était vide pour comparer les prix des trois hypermarchés concurrents de l’aire toulonnaise. Le résultat dépasse nos plus folles espérances.

AVANT d’aborder le vif du sujet qui intéressera celles et ceux qui se sont un jour coltinés les courses, un peu d’histoire locale.

Les premières très grandes surfaces commerciales de l’aire toulonnaise se développèrent à l’Est. L’enseigne Euromarché s’installa en tête de gondole du centre "Grand Var" de la Valette dès la fin des années soixante-dix. Les abords Ouest furent plus longs à se laisser envahir, ils restèrent agricoles jusqu’à ce que le groupe Promodes réussisse enfin à convaincre les exploitants de céder leurs terres : un hypermarché Continent n’ouvrit ses portes à Ollioules qu’en 1989. Puis la municipalité Trucy trouva judicieux d’importer le concept au coeur même de Toulon. Le centre commercial "Mayol" fut inauguré avec le premier Carrefour de l’agglomération en 1990.

En 1991, le groupe Carrefour avale Euromarché. En 1999, il fusionne avec Promodes. Bilan : les trois hypermarchés de Toulon, à l’Est, au centre et à l’Ouest, sont depuis le début du siècle des hypermarchés Carrefour. Voilà pour la saine concurrence.

Vu des stratèges de l’enseigne, le plan de la ville pourrait se résumer à ceci :

Revenons à nos moutons. Sur la méthodologie : nous avons dressé une liste de 37 produits, de l’alimentaire, de l’hygiène et du vrac, en nous servant d’une ossature définie à d’autres occasions par des personnes plus imaginatives que nous. Quelques références sont venues compléter la liste (des couches et des capotes, par exemple). Puis nous avons comparé les prix dans les trois hypermarchés.

On ne pourra certainement pas se servir de nos résultats à des fins statistiques. Il s’agit juste de mettre en évidence les écarts, loin — très loin — des effets d’annonce dont abuse Carrefour.

Le panier de la ménagère

La liste des produits se trouve dans le fichier pdf ci-dessus. Les prix ont été relevés à moins de 24 heures d’intervalle, lundi 2 juillet 2007 en début de soirée à Ollioules, mardi 3 juillet matin au centre Mayol de Toulon, le même jour en début d’après midi à la Valette ("Grand Var").

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Slogans trouvés sur le site de Carrefour. Taille inchangée.

Sur les 37 produits, il apparaît que seuls 3 ont des prix communs aux 3 magasins. 10 autres ont le même prix dans 2 magasins (aucune règle apparente en la matière). Pour les 24 restants, c’est le grand n’importe quoi.

« Être le moins cher pour tout le monde, c’est être le moins cher dans tous ses magasins »

Le paquet de lessive, par exemple, vaut presque 3 euros de plus à Ollioules qu’à Toulon (20 balles pour les vieux cons qui réfléchissent toujours en francs). Le moins cher coûtant 8 euros, voyez ce que ça représente. 8 articles sur 37 affichent un écart de prix de plus de 20% entre deux magasins. Quand vous prenez le pot de confiture à 1,82 euro à Grand Var, vous ne le payez que 52 centimes de plus qu’à Ollioules. Rien, une broutille, qui signifie toutefois que vous le payez 40% plus cher.
Un des trois magasins annonce la bouteille d’eau en « promo ». Elle coûte un centime de plus que dans les deux autres.
À Mayol, le paquet de café arbore un autocollant destiné à être enlevé au passage en caisse, il indique « 30 centimes de réduction immédiate ». Mais après la réduction immédiate, le prix du café reste quelques centimes plus élevé que dans les deux autres hypermarchés.

La rumeur prétend que le caddie est plus économique à Mayol qu’à Grand Var. Nos résultats vont dans ce sens, en tout cas pour les produits alimentaires. Mais encore une fois, aucune généralisation n’est possible avec ces même pas quarante références choisies au hasard Balthazar. Les différences — parfois anecdotiques, parfois outrancières — étant la norme, nous pouvons toutefois conclure que lorsque le monsieur de Carrefour prétend ajuster les prix dans ses magasins de l’Hexagone, il plaisante.

À ce stade de l’enquête nous appelons « gratuitement d’un poste fixe » le numéro 3235, celui par lequel n’importe quel citoyen peut redresser les torts de son hypermarché.

Petite musique, puis une voix enregistrée : « Bienvenue chez Carrefour. Si vous connaissez le nom du service auquel vous voulez accéder, prononcez le maintenant ». Là, il faut crier « Alerte prix ! » dans le combiné pour que la machine entende. C’est ridicule ? Oui, c’est fait exprès.

« Pour toujours améliorer le service, cette conversation peut être enregistrée », dit encore la machine. Nous la soupçonnons d’avoir suivi ses études chez les Jésuites parce qu’en réalité, voilà le message : « pour surveiller nos employés et te mettre la pression, mon pote, cette conversation peut être enregistrée ».

Au bout du fil, enfin, une vraie personne. La dame explique que pour valider l’alerte il faut noter le code-barres du produit (« — pardon ? Ça veut dire que je suis obligé de l’acheter ? — Pas du tout monsieur, il suffit que vous releviez les chiffres »). Ensuite il faudra rappeler et crier « Alerte prix ! » dans le combiné, puis on établira une fiche qui sera communiquée au magasin afin de procéder à l’ajustement et éventuellement au remboursement.
Ce n’est pas plus compliqué que ça.
Juste un peu chiant.
Par exemple, le code-barres de la lessive évoquée plus haut s’appelle 5413149210042 dans le civil. Payer moins cher exige une certaine motivation. Du temps, un calepin, un stylo.

Les roquets sont infiniment moins nombreux que les veaux

Les campagnes publicitaires ne se limitent pas à des invitations à se rendre à tel endroit pour acheter tel produit. Elles peuvent avoir pour objet l’endormissement du chaland sur le mode de la propagande politique. Le client, abruti par ces slogans répétitifs qui vantent la démarche qualité de Carrefour, écrasé par tant de « preuves » (voir les publicités qui émaillent cet article), finira par se persuader plus ou moins consciemment de la bonne foi de l’enseigne et achètera en confiance. À peu près tout le monde essaie de comparer les prix avant de remplir son chariot, mais cela se passe au sein du même magasin. Combien mettront les assertions des publicitaires à l’épreuve ? Combien s’amuseront à bondir de magasin en magasin, sachant que les prix sont amenés à changer chaque jour ? Il y a tant de choses plus passionnantes dans la vie !

Carrefour joue bien sûr là-dessus, parfaitement conscient du caractère minoritaire de la réclamation. Un client qui exige réparation ne représente qu’un dégât collatéral parfaitement acceptable au regard des bénéfices envisagés avec cette campagne (aussi en terme d’image).

Le numéro vert ajoute une touche de relationnel et prévient les accusations de publicité mensongère : s’il est mis à disposition, c’est que Carrefour reconnaît que ses contrôles peuvent faillir. Le client, concerné, impliqué, attentif, participe lui-même à l’amélioration du service. Et s’il ne le fait pas, finalement, tant pis pour lui.

Si nous relevions les codes-barres de nos 34 articles à prix divergents et que nous les communiquions au 3635, le prix du chariot de Grand Var serait censé baisser d’environ 7,3%. Projetons ça à l’échelle de l’hypermarché et nous aurons une idée du manque à gagner pour l’enseigne. Bien sûr, cela ne se produira pas.

Impression = preuve ?

Carrefour veut donner l’impression qu’il travaille beaucoup pour que ses prix convergent. Mais on peut légitimement se demander pourquoi les prix divergent, dans la mesure où le groupe dispose d’une centrale d’achat qui lui permet d’acheter en très grande quantité des dizaines de milliers de produits au meilleur coût. Pourquoi faut-il ensuite, après installation dans les rayons, que les étiquetages partent dans tous les sens ?

Sans doute parce que chaque magasin s’adapte à son environnement, au tissu économique et social dans lequel il s’inscrit. Sans doute parce que la stratégie et les produits d’appel varient selon le public, et que les vases communiquants permettent ensuite de garantir un chiffre d’affaires "convenable" : ici l’hygiène compense l’alimentaire, là-bas c’est le contraire. Et partout, le chaland a l’impression de faire des économies.

« Nous vous garantissons les prix les plus bas. La preuve : croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer ». L’enfer est pavé de fausses intentions commerciales.

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  • Réactivité zéro 11 juillet 2007
  • On en redemande ! 11 juillet 2007, par


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