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LETTRE D'INFORMATION |

Luz : king of gigs

samedi 29 mai 2010
par Gilles Suchey

Du dessin satirique à l’instantané de concert il n’y a qu’un saut dans la fosse. Pilier de Charlie hebdo, Luz publie régulièrement des ouvrages qui témoignent de ses goûts tranchés en matière musicale. Tout a commencé avec The Joke, consacré au leader de The Fall Mark E. Smith. On a enchaîné sous la boule à facettes avec Claudiquant sur le dance floor et Faire danser les filles, pour enfin basculer dans un registre moins rigolard : Trois premiers morceaux sans flash, travail sensible conduit en collaboration avec la photographe Stefmel. Sinon, Luz n’aime toujours pas la chanson française.

R éalisé pour l’émission Iconophage [1] dans le cadre des dix-septièmes rencontres de la bande dessinée de Bastia, le 9 avril 2010. Ingénieur du son : Éric Litot.

...J’aime bien la musique française par contre : dès que les gens utilisent leur voix comme d’un instrument ça peut devenir intéressant. Dominique A par exemple, ça me fait penser à l’approche des Young Marble Giants, il y a à la fois la voix, les paroles, le chant est une musicalité.

Et Sébastien Tellier aussi, il paraît que tu aimes bien ?

J’adore Sébastien Tellier. Au début j’avais l’impression d’un truc préfabriqué, d’une posture, et puis je l’ai vu en concert. Il parle, il est un peu foireux, un peu beauf mais ce type est finalement fragile, je pense que sa musique est beaucoup plus sincère qu’elle n’en a l’air.

Une façon comme une autre de justifier l’intérêt que tu lui portes ?

On cherche toujours à justifier les conneries qu’on écoute (rires). Bon, il y a quand même des trucs que je n’arrive pas à comprendre. Le rock festif, par exemple... Je ne comprends pas qu’on puisse écouter ça chez soi. Marcel et son orchestre, Les fils de Teuhpu, j’ai un peu de mal avec ça. Le côté fête à Neu-Neu... Enfin, des fois il y a des mecs qui font de la bonne musique, mais il y a cet aspect « on est là pour déconner, on fume des pétards et pis on fait un bœuf ». Et ça... La musique ne doit pas forcément être sérieuse mais il doit y avoir une conscience musicale...

Pourtant dans les bouquins de Luz c’est un peu la même chose, il y a toujours de la déconnade, le déconneur finit toujours par prendre le pas sur l’authentique fan et le critique...

Oui c’est vrai, mais je pense que si je mets le côté déconneur en avant et si je me mets en scène, c’est pour relativiser ma critique. Comme pour dire : attendez, je suis celui qui parle et je ne suis pas fiable. J’ai des goûts, j’aime ça, je veux vous convaincre et en même temps je ne parle que de moi-même, je ne suis pas là pour vous asséner La Vérité. Et puis aussi, il y a ce côté futile et finalement comique de la musique... Cela dit, j’ai quand même l’impression d’avoir fait le tour. La sociographie de la musique... Au bout d’un moment, tu sais. Les codes n’évoluent pas très vite et depuis Faire danser les filles ils sont toujours un peu les mêmes. Quand j’ai commencé, j’abordais le dessin avec une espèce de candeur, je redécouvrais le live à une époque où je ne sortais plus tant que ça, tout à coup je rencontrais des personnes qui me dévoilaient des codes que je ne connaissais pas, maintenant il y a moins de surprise. C’est pour ça que j’explore une autre voie avec Stefmel où nous mélangeons photos et dessins en abordant la musique sous un angle positif, en évitant le côté anecdotique et en nous concentrant sur les choses qu’on aime, qui nous transportent.

Tu privilégies l’instant, tu dessines dans la fosse pendant que les musiciens jouent, le goût du live est celui du fugace, de l’éphémère, et ça rejoint ce que tu fais avec le dessin d’actualité. Tu traites un peu la musique comme la politique...

Parce que c’est un leurre de croire qu’on peut en tirer une vérité sur le long terme. C’est aussi peut-être tout bêtement parce que je ne saurais pas entrer dans les profondeurs d’un album pour en tirer une critique. J’écoute tout le temps de la musique mais ce sont toujours des instantanés. Les dessinateurs écoutent de la musique parce que quand tu te fais chier chez toi, qu’est-ce que tu fais si tu n’as pas besoin de trouver des idées trop compliquées ? Tu allumes la radio ou tu mets un disque. Je pense aussi que j’ai besoin du live parce que je ne sais pas faire autre chose que de parler de la réalité. Je ne sais pas faire de la fiction.

Un filtre par rapport au réel…

Exactement. Je ne suis qu’un prisme comme sur la pochette de The dark side of the moon. Un prisme entre la réalité et la main qui dessine. Il y a un truc qui circule là dedans, je ne sais pas comment ça se passe, c’est lié à ma personnalité, mon passé, ce que j’imagine pouvoir encore vivre... Je ne suis pas un inventeur. On peut trouver de l’artistique chez moi mais pas de la création pure. Je viens de la satire où il s’agit toujours de décaler une réalité politique, un instantané de débat, un moment de la vie publique. On ne traduit pas simplement la réalité, on la passe dans notre prisme. Et c’est pour ça que les photos de Steph me débloquent... Comme elle privilégie le portrait, les plans rapprochés sur tel ou tel membre du groupe, je ne suis plus dans l’obsession de faire quelque chose de ressemblant. Je peux rester en retrait et ne dessiner que ce qui m’intéresse, essayer de traduire une énergie, un mouvement, ça devient plus abstrait. Elle est dans le fantasme et moi dans l’énergie mais la complémentarité n’est pas totale, il reste un interstice qui permet de réinventer le concert. J’aimerais bien que ce fossé qui nous sépare et nous séparera toujours devienne un peu magique, comme un grand rai de lumière — je dis ça et je n’ai pourtant encore bu qu’une seule bière (rires). C’est ce qui me plaît particulièrement dans notre collaboration : on ne délivre aucune vérité, notre travail commun reste le fruit d’une négociation avec la réalité. Et nous arrivons encore à nous surprendre l’un l’autre.

Tu n’as pas l’impression, parfois, de parler de choses qui n’en valent pas vraiment la peine, de suivre des groupes lancés artificiellement par les médias ? Prenons Gossip comme exemple.

(Sursaut) Non ! Je ne crois pas que ce soit une arnaque. Stop ! Parce que les premiers albums de Gossip, avant que ça devienne cette machine populaire d’aujourd’hui, c’était les White Stripes avec des nichons ! Vraiment ! Il y a peut être un opportunisme... Beth Ditto a fait du punk parce que grosso modo c’était la seule façon pour elle de sortir de sa petite ville de merde, c’est en tout cas ce que j’ai compris de ses interviews. Par contre, elle reste une espèce de midinette fan de Missy Elliot. Au bout du compte, on peut avoir l’impression que sa musique est plus "fausse" parce qu’elle est devenue plus accessible et qu’elle touche plus de monde. Mais en fait, elle est probablement plus juste compte tenu de ce que Beth Ditto est vraiment. Elle reste très mainstream dans ses goûts. Je pense qu’il y a de l’honnêteté malgré tout !

Qu’elle soit honnête, certainement, mais c’est l’engouement médiatique autour du « phénomène » qui peut exagérer les qualités d’un groupe : aucun article traitant de Gossip n’oublie d’évoquer le physique et les goûts sexuels de Beth Ditto : « quand même, pour une obèse et une lesbienne, c’est pas mal ! » On est loin de la critique musicale objectivée.

Il y a un truc : c’est dans Charlie hebdo que j’ai commencé ces reportages sur la musique. Et dans Charlie, tu n’as pas beaucoup de gens qui s’intéressent à la musique. Tu dis Talking heads : personne ne connaît. Tu dis Gossip... Et là, oui, maintenant, on te répond « ah oui ! la grosse ! ». Donc ok, j’en déduis que c’est devenu un groupe populaire...

À Charlie, quand j’y pense... J’ai quand même rarement reçu de bons disques, que des merdes... Maintenant je n’en reçois plus, c’est l’effet J’aime pas la chanson française, ça a sérieusement écrémé les services de presse... Parce que moi, monsieur, les premiers Bénabar, je les ai eus ! "Bénabar et associés", je l’ai eu entre les mains, j’ai été le premier à le jeter à la poubelle ! Tout ça pour dire qu’au début j’étais quasiment obligé de me placer en historien de la musique pour pouvoir en parler dans Charlie. Comme j’abordais le truc sur le mode gonzo ça intéressait mes camarades, j’étais descriptif, un peu le Lévi-Strauss de "la musique de jeunes" comme Sattouf est d’une certaine manière le Lévi-Strauss de la jeunesse, pour eux comme pour moi d’ailleurs parce qu’il faut bien reconnaître qu’il est très fort ! Et puis j’ai eu la chance de pouvoir travailler à Magic où je n’étais plus obligé de faire l’historique depuis les Beatles puisque autour de moi tout le monde était au courant...
Alors oui, tout ça est éphémère, parce que la musique est éphémère, parce que des artistes qui ont marqué le passé sont aujourd’hui oubliés... Grand Funk Railroad, un des groupes ayant posé les bases du métal à la fin des années soixante, était internationalement connu en 1970 mais personne n’en parle plus jamais, c’est fini. C’est de l’éphémère... Enfin il y a peut-être aussi un peu de déformation professionnelle, je suis issu de la presse satirique et il n’y a malheureusement rien de plus éphémère que la politique. C’est un contresens parce que la politique devrait durer sur le long terme, mais tel qu’on la pratique aujourd’hui, on n’y est pas... Et puis je ne travaille pas comme le font les dessinateurs de BD, qui prennent soin de choisir du joli papier et de l’encre qui restera toujours noire, avec la plume machin, dans l’objectif d’être muséifiés ou quelque chose comme ça. Moi je travaille sur du PQ pour une actualité de PQ que les gens liront dans leurs chiottes, c’est comme ça.

On avait évoqué voilà quelque temps la création d’un musée du dessin de presse et Wolinski était sur le coup...

Je ne sais pas où ça en est... Mais justement, on a eu une discussion là-dessus avec Wolinski, je lui disais : tu ne vas montrer que des trucs qui disparaîtront dans dix ans parce que c’est du feutre, ça va devenir rouge, dégueulasse... Pour moi l’intérêt du dessin c’est d’être publié, ce n’est pas l’œuvre.

Pour en revenir à toutes les revues avec lesquelles tu as travaillé, Magic, Les Inrocks, Tsugi... Dans quel sens se fait la sollicitation ?

C’est venu de moi. Sauf Tsugi, ce n’est pas tout à fait pareil... J’étais un compagnon de route de Trax, on était copains et de temps en temps je faisais un dessin. Puis ils ont eu des emmerdes, Trax a été racheté par Technikart alors je suis allé les voir en leur proposant mon aide. Du coup j’ai travaillé avec eux [2], je leur ai fait une BD qui s’est arrêtée il n’y a pas très longtemps parce que ça représentait beaucoup de boulot et peut-être aussi parce que j’étais arrivé au bout de ce que je voulais faire, Justice in the sky et King of Klub qui étaient très très idiots...

Depuis que la presse rock existe il y a toujours eu des dessinateurs pour l’accompagner. Tu t’inscris dans cette continuité ?

C’est davantage le hasard. Si j’avais été fasciné par le tricot, j’aurais fait des BDs sur le tricot... La BD sur la musique est venue quand même assez tard dans ma carrière, en 2003, alors que j’ai commencé à dessiner pour la Grosse Bertha en 91... 12 ans pour que mon dessin se mette au service de quelque chose que j’aime. C’est quand même ça, le gros du truc...

Pourquoi ? Quand tu dessines Sarkozy, tu ne te mets pas au service de quelque chose que tu aimes ?

Je continue le dessin satirique, je continue à me faire chier à dessiner Sarkozy, il y a encore un truc que je voudrais faire par rapport à lui, un truc destructeur concernant le dessin de Sarkozy, un travail de "drawstruction", de "dessintruction"... Ce serait bien aussi que Biolay soit un peu plus dans l’actu parce que j’aime bien dessiner son gros nez en patate.

Il a failli l’être.

Quel dommage ! C’est très con parce que c’est mon métier, mais au bout d’un moment ça devient un calvaire de constater que quand j’ai une page blanche et que je veux travailler sur la politique pour Charlie, le premier truc que je fais c’est, tiens, un sourcil en M, et puis tiens, une paupière tombante, tiens un grand nez, putain...

Tu n’as pas fait le « no Sarkozy day » ?

Non, ça c’est complètement con. « No sarkozy day », tu as déjà Sarkozy dedans ! Plus tu écris « no Sarkozy day » en gros, plus le nom de Sarkozy apparaît en gros ! C’est le truc le plus débile de la terre.

MP3 - 124.2 ko
Charlie et la musique
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The Joke (Les Requins marteaux, 2003)

Claudiquant sur le dancefloor (Hoëbeke, 2005)

Faire danser les filles (Hoëbeke, 2006)

J’aime pas la chanson française (Hoëbeke, 2007)

Trois premiers morceaux sans flash par Stefmel & Luz (auto-publication, 2010)

Tous ces titres sont disponibles dans les meilleures librairies (sauf the Joke, assez épuisé)

[1] Iconophage, tous les mardis de 18h30 à 19h30 sur RadioActive, 100 FM, aire toulonnaise.

[2] C’est l’ancienne équipe rédactionnelle de Trax qui a fondé Tsugi.



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