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"Racailles !"
(08/10/2002)

 

 

 

 

 

Huit ans de solitude au Parquet de Toulon
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LE DOSSIER ALBERT LÉVY (2/2)
lundi 1er mars 2004

par Gilles Suchey

Suite du dossier consacr� � un magistrat jadis en charge de grand banditisme sur l’aire toulonnaise.
O� chercher des r�ponses � des questions que personne ne pose s’av�re d�raisonnable.
O� porter un nom juif n’arrange rien, m�me si ce n’est pas le noeud du probl�me.

l ne s’agit pas de d�crire ici les faits reproch�s officiellement au substitut L�vy. A-t-il oui ou non viol� le secret professionnel ? Ses juges trancheront.
Notons toutefois que la Chambre d’Accusation de Paris avait annul� en avril 1999 la proc�dure instruite contre lui quelques mois plus t�t. On le soup�onnait alors d’avoir remis � un journaliste des documents confidentiels impliquant des �lus locaux, dont le maire FN de Toulon, dans l’attribution du march� des cantines scolaires de la ville. Malgr� cette annulation et apr�s une nouvelle mise en examen, la juge d’instruction Marie-Paule Moracchini ordonnait en mars 2003 son renvoi devant le tribunal correctionnel.

Patriotes contre "apatride"

Albert L�vy est d�j� en poste � Toulon depuis quatre ans (1991) quand le Front national s’empare de la mairie. C’est s�r : contrairement � certains coll�gues adeptes de d�ners en ville, il ne cherchera jamais � se faire appr�cier de Jean-Marie Le Chevallier.
Enqu�tant sur la mort violente de l’adjoint Poulet-Dachary en ao�t 1995, il d�clare ne vouloir n�gliger aucune piste, provocant ainsi la fureur du Front pour qui le meurtre est forc�ment politique. Plus tard, dans une affaire de discrimination � l’embauche, il requiert contre l’�pouse du maire une peine d’emprisonnement avec sursis assortie d’une amende... Ce n’est pas la meilleure fa�on de se faire des amis du c�t� de l’H�tel de ville.
La presse d’extr�me droite se d�cha�ne, et surtout le journal Pr�sent : dans un �ditorial, Jean Madiran cite le nom "L�vy" une quinzaine de fois en dix lignes, histoire de bien faire comprendre aux lecteurs � quel genre de procureur on a affaire. La rage du FN s’exprimera jusque dans les colonnes du bulletin municipal le Toulonnais, aux frais du contribuable : en 1998, la r�daction estime n�cessaire de commenter la mise en examen du substitut : « [on le soup�onne d’avoir] mont� de toutes pi�ces une campagne de presse au pr�judice de la ville et de son premier magistrat ». Ce ne sont pas exactement les termes de l’instruction, c’est le moins qu’on puisse dire, mais qu’importe. �il pour �il.

Les d�tracteurs r�actionnaires de L�vy ne sont pas tous inscrits au FN. On les compte aussi dans les rangs de l’APM [1], un syndicat tr�s droitier dont certains membres �margent au tribunal de Toulon. Alain Terrail, avocat g�n�ral pr�s la Cour de cassation et pr�sident d’honneur de l’APM, publie en 1998 une tribune � charge contre Albert L�vy dans le n°10 de la revue interne Enjeu justice. Toujours � propos de sa mise en examen. Elle se conclut sur ces termes : « tant va L�vy au four... Qu’� la fin il se br�le ! » [2] .

On le voit, les origines du substitut lui interdisent un certain type de soutien... Affirm� ou sous-jacent, l’antis�mitisme n’est pourtant pas � la source de ses ennuis. Parlons plut�t d’un outil, d’un levier. Le patronyme "L�vy" permet � ses adversaires les moins philos�mites de justifier son hostilit� � leur endroit, en �vacuant ce qu’on pourrait objectivement leur reprocher. Surtout, il permet � d’autres d�tracteurs plus sournois d’organiser leur campagne de d�stabilisation...
Ainsi, lors de sa mise en examen pour violation du secret de l’instruction, on soumettra le magistrat � une expertise psychologique �tay�e d’�tranges questions : « Quel est votre seuil de tol�rance � l’antis�mitisme ? Comment vivez-vous votre juda�t� ? »

L’importun

En insistant sur ses origines, en jouant sur ses relations conflictuelles avec le FN et en lui inventant une n�vrose parano�aque, on pourra facilement marginaliser le substitut... Et occulter les aspects les plus g�nants de ses travaux. Albert L�vy n’est pourtant pas ce tr�s caricatural « Don Quichotte voulant pourfendre le parti politique dominant, [agissant] par communalisme ( ?) de croyance et id�ologique » [3] que l’on d�nonce.

S’il s’�tait content� d’emb�ter le FN, le retour de manivelle aurait sans doute �t� moins violent. Mais le magistrat en charge de grand banditisme �pluche d’autres dossiers. Il n’h�site pas � pondre des rapports d�non�ant les ratages des institutions polici�res et judiciaires. Ratages plut�t fr�quents d�s qu’on approche le nom de Yann Piat. « En huit ans, [L�vy] a connu toutes les affaires du Var, dont les plus importantes auraient d�bouch� sur autre chose que de simples r�glements de compte si des ordres opportuns de sa hi�rarchie ou de mauvaises volont�s polici�res n’avaient emp�ch� la poursuite des investigations. L’affaire Piat intervient alors comme le point d’orgue de toutes ces affaires dans lesquelles Albert L�vy, simplement parce qu’il conna�t la situation et tente de faire son travail, joue le r�le d’un trublion dans les soubresauts li�s aux reclassements politico-mafieux qui s’op�rent dans le Var depuis plusieurs ann�es. C’est lui, notamment qui, � plusieurs reprises, a averti sa hi�rarchie judiciaire des menaces pesant sur Yann Piat, apparues notamment lors d’�coutes t�l�phoniques, sans susciter une quelconque r�action de la part de cette derni�re » [4].

Le substitut ne se satisfait ni de la rapidit� avec laquelle sa hi�rarchie blanchit le vice-pr�sident du Conseil g�n�ral (�poque Arreckx), dans l’affaire des violences � r�p�tition contre Yann Piat lors de l’ultime campagne �lectorale de celle-ci [5], ni des conclusions du proc�s des assassins pr�sum�s de la d�put�e. On lui demande d’ailleurs de t�moigner lors de ce proc�s, de la m�me mani�re que l’on convoque certains journalistes contestant la th�se officiellement propos�e... et finalement retenue (des petits malfrats ont abattu la d�put�e sur ordre d’un truand � peine plus gros) : « lors du proc�s des assassins de Yann Piat, le substitut L�vy [a] fait part de ses doutes quant � la volont� de la justice de faire �clater la v�rit� sur ce crime [...]. Il [a] alors �voqu� les relations difficiles qu’il entretenait avec certains magistrats, "dont la s�r�nit� confine � la nonchalance"  » (Le Monde, 9 septembre 98).

Dans un rapport de 1996 adress� au Procureur de Toulon et cit� par Sophie Coignard (La vendetta fran�aise, Albin Michel, 2003), L�vy �voque un gang toulonnais � la t�te duquel s�vissent deux fr�res : « "Les Perletto" r�v�laient savoir l’identit� des assassins de Mme Piat mais souhaitaient s’exprimer exclusivement devant M. Charles Pasqua, ministre de l’Int�rieur. » Selon Sophie Coignard, L�vy n’arr�te pas la r�daction du rapport � ces lignes. Il raconte aussi « comment des interm�diaires ont organis� une rencontre � laquelle assistaient des repr�sentants du minist�re de l’Int�rieur. Les Perletto auraient donn� la bande du "Macama". Ce sont ces membres qui seront condamn�s pour l’assassinat de Yann Piat, malgr� la faiblesse du mobile. » Enfin, le substitut s’interroge : « dans quelles conditions les Perletto ont eu � conna�tre l’identit� des assassins de Mme Piat ? [...] Pourquoi la haute hi�rarchie polici�re ainsi que celle du minist�re de l’Int�rieur se seraient pr�t�es � cette n�gociation ? Quels types de rapports sont susceptibles d’entretenir des malfaiteurs comme "les Perletto" avec ces personnalit�s administratives ou politiques ? »

Un seul substitut en charge de grand banditisme � Toulon et il fallait que ce soit cet emmerdeur. Un emmerdeur qui finalement reste bien impuissant : il se contente d’�crire des rapports d�rangeants.
Toutefois, dans un Palais de Justice id�al, on n’�crirait pas de telles inanit�s.

Si tu veux tuer ton chien...

Comment rendre id�al le Palais de justice toulonnais ?

D’abord, on peut proposer au substitut d’organiser son d�m�nagement. En 1996, « Jean-Charles Marchiani demande au procureur de Toulon d’obtenir la mutation de ce magistrat "dans son propre int�r�t" et parce qu’il "trouble l’ordre public". [...] Le procureur g�n�ral d’Aix en Provence, quelque temps plus tard, rend visite au substitut pour lui proposer une belle promotion � Paris » [6]. Il refuse.

On peut utiliser d’autres m�thodes. Certains coll�gues mettent L�vy en garde de fa�on plus ou moins amicale : il m�ne une vie dangereuse. En janvier 96, alors qu’il se trouve au volant de sa voiture attendant qu’un feu passe au vert, deux hommes � moto simulent un tir � bout portant dans sa direction... Et quelques temps plus tard, le g�niteur des Perletto vient l’assurer de sa protection car, dit-il, « le sang a assez coul� dans le Var ». Une d�licate attention.

Y-aurait-il encore d’autres voies � explorer ?
Pour qui souhaite lib�rer le tribunal des rapports qui f�chent, l’affaire VSD arrive � point nomm�. Alors enfon�ons le clou.
D�bauche des moyens mis en �uvre pour confondre le magistrat. Pressions sur le journaliste concern� pour l’inciter � impliquer Albert L�vy dans la remise d’un document, alors qu’il sera retrouv� chez ce m�me journaliste des centaines de pi�ces judiciaires dont certaines proviennent directement des renseignements g�n�raux ou des services de gendarmerie. Tentative (avort�e) de d�stabilisation "psychiatrique" du substitut : « la dimension psychiatrique donn�e � l’affaire d�s la garde � vue laissait entrevoir le type de solution envisag� : quelqu’un qui voit des fascistes partout � Toulon ne doit-il pas, d’urgence, �tre d�clar� fou ? La contre-expertise que celui-ci demandera � M. Abgrall, expert national agr�� pr�s la Cour de cassation conclut, quant � elle � la parfaite sant� mentale d’Albert L�vy » [4]. Etc.

Albert L�vy est depuis 1999 substitut au Parquet de Lyon et n’�crit donc plus de rapports pour le tribunal de Toulon. Mais la -tr�s longue- proc�dure judiciaire qui l’int�resse attendra mars 2004 pour conna�tre son d�nouement. Ses partisans parlent "d’acharnement".

Merci � la LDH Toulon.

Soutiens � Albert L�vy :
-  Meeting mercredi 17 mars � 19h, salle Croizat de la Bourse du travail (3 rue du ch�teau d’eau � Paris).
-  Pour les lyonnais, rassemblement � 18h le 17 mars devant le palais de justice de Lyon, rue Servien.
-  Vous pouvez aussi venir � l’audience publique � Paris, les 18 et 19 mars, � la 17�me chambre corectionnelle du Tribunal de grande instance, M° Cit�, au palais de justice de Paris.


[1] Association Professionnelle de la Magistrature.

[2] Des mots dont jailliront le scandale et la condamnation de Terrail. Pour att�nuer le discr�dit jet� sur l’APM, son pr�sident Georges Fenech envisagera m�me sa dissolution. Puis l’eau coulera sous les ponts... En 2004 l’histoire para�t lointaine. Fenech n’est plus pr�sident du syndicat mais d�put� UMP du Rh�ne, et il a vot� les lois Perben. Pour plus d’infos sur l’APM, lire cette note du R�seau Voltaire.

[3] Mots (rapport�s par des journalistes) du procureur adjoint Michel Raffin lors du proc�s concernant les cantines scolaires de Toulon en 2001. Ce proc�s verra la relaxe de Jean-Marie Le Chevallier.

[4] Pierre Jacquin, Justice n°158 - organe du Syndicat de la Magistrature, novembre 1998.

[5] Cet homme, Jo Sercia, est dissident de l’UDF et adversaire de Piat aux l�gislatives de 1993.

[6] In la vendetta fran�aise.